•  

     

                                        Récit de « l’exode » raconté par une petite fille de Saint Fargeau

     

    Richesse et plaisir d’avoir des relations de bon voisinage ! Je m’entends très bien avec ma voisine. Je n’ai qu’à traverser la rue, ouvrir sa porte et m’annoncer par cette petite onomatopée : « toc toc toc !» C’est notre petit rituel. Il me permet à moi, de ne pas être intrusive; à elle, de ne pas être surprise ; « Ah ! C’est madame D. qui vient me voir !» dit-elle, la voix accueillante et chaleureuse.

    Et nous voilà à papoter de choses et d’autres. "De coq en âne et d’âne en bergerie", j’en suis venue un jour à parler de l’exposition que nous avions organisée à l’occasion du centenaire de la grande guerre, en 2018. De guerre en guerre, nous voilà en 1940. Cette guerre là, Rose l’a vécue ! Elle avait 10 ans. Elle raconte :

     

    « Mes grands-parents vivaient à Saint-Fargeau dans cette maison que nous habitons aujourd’hui.

    En 1940, ma grand-mère était veuve et mon père était installé avec la famille qu’il avait fondée, à Montereau en Seine et Marne où il était ajusteur tourneur. A l’époque nous étions déjà six enfants. (Six autres frères et sœurs naquirent par la suite). Et moi, j’avais 10 ans quand la guerre a commencé . 

    Comme tous les français (1) son père et sa mère en 1940, ont vécu ce vent de panique qui a jeté la population sur les routes, fuyant la fulgurante avancée des troupes allemandes.

     

    « Il faut partir !» décida mon père « Mais avant, on passe par Saint-Fargeau pour prendre maman avec nous »

    « C’est ainsi que ma grand-mère paternelle nous vit débarquer dans la  voiture de mon grand-père maternel, tellement surchargée que mon père n’avait pu trouver place que debout sur le marchepied comme les voitures en avaient à l’époque.

    Ma grand-mère se rebiffa quand elle comprit que son fils venait la chercher: « Tu es fou ! Vous courez dans la gueule du loup !» Non, elle décida de rester là où elle avait toujours vécu. Et nous, après une nuit de repos, tous entassés dans sa maison, nous avons pris la route vers la Loire.

    Arrivés à Cosne, nous avons tout juste eu le temps de passer le pont. Je me souviens qu’il s’effondra juste derrière nous, atteint par une bombe. Mon père affolé, ne savait que faire ni où aller prévoyant un lâcher de bombes et notre mort certaine.

    Un soldat tout noir a surgi soudain. J’avais peur, peur ! Je n’avais jamais vu un noir et je croyais qu’il allait nous tuer ! 

    « N’ayez pas peur messieurs-dames, n’ayez pas peur, glissez vous là dans le chemin ». Et mon grand père s’engagea sur un petit chemin qui longeait le fleuve… »

     

    Que s’est-il passé après ? Cela reste bien vague. Elle revoit dans son souvenir « une place ronde ornée d’une fontaine au milieu ; une sorte de  rond  point », dit-elle.

    Elle se souvient aussi que le maire du village les avait accueillis pendant trois jours.

    Après, Rose ne se souvient pas comment la famille s’est retrouvée à Saint-Fargeau.

    Mais elle continue son récit :

    « Nous voilà revenus à Saint Fargeau. Mes parents  sont repartis, mais à la demande de ma grand-mère, ils nous ont laissées ma sœur et moi, avec elle. C’est comme ça que je suis restée toute la guerre à Saint-Fargeau où je suis allée à l’école.

     

     

    (1) Selon les recherches de l’historien Jean-Pierre Azéma, entre le 15 mai et le 10 juin 1940, au moins six millions de français (un cinquième de la population) abandonnent leur domicile et participent à l’exode de 1940 sous les attaques des Stuka de la Luftwaffe. On peut imaginer civils et soldats en déroute tous mêlés aux soldats allemands dans un chaos inextricable ; ce qui contribua à ruiner plus encore, la logistique militaire française.

     

    Je me souviens que les allemands étaient sur la place, derrière l’église. On les voyait de la maison. C’est là qu’ils faisaient leur popote. Sinon, ils avaient réquisitionné la maison en face du lavoir rue faubourg de Bourgogne. Nous, les gosses, on les épiait bien vite par la fenêtre. Ils soulevaient les planches de parquet et ils y planquaient de la bière.

     

    Tous les soirs, il y avait deux soldats qui descendaient la rue de Bourgogne. Je ne sais pas d’où ils venaient. Mais ce dont je me souviens bien c’est que ma grand-mère tout à fait au début, nous avait fait asseoir un jour avec ma sœur sur le perron et nous avait demandé de chanter cette chanson très connue à son époque :

    «Mes chers petits baissez la voix

    Parler français  n’est plus permis

    aux petits enfants de l’Alsace »…

     

    Alors le sous-officier qui passait à ce moment là, nous a dit d’une grosse voix : « Appelez votre grand-mère ! »

    A ma grand-mère, sévèrement, il a dit : « Madame ce n’est pas bien de chanter ça. Il faut plus qu’elles chantent ça !!! » Nous, on a plus jamais osé chanter !

    Les allemands venaient parfois demander la permission, toujours très poliment, de faire cuire leurs œufs durs pour la route et de faire du café.

    Le plus vieux des soldats (sûrement le sous-officier qui commandait la compagnie), s’était attaché à la petite fille que j’étais alors. Il expliquait à ma grand-mère qu’il avait laissé là-bas en Allemagne, une petite fille de mon âge et qui me ressemblait. Un jour, il a demandé à ma grand mère la permission de m’emmener au COOP en bas de la rue de l’Église. Elle a permis ! Vous vous rendez compte si aujourd’hui on laisserait partir une gamine avec un inconnu ; un occupant de surcroît ! Et bien il m’a acheté une robe blanche et des souliers blancs. j’étais contente ! Je m’en souviens très bien. »

                                                                        ***

     

    Mémoire des gens d’ici. Délice de les faire parler !

    Mais Mémoire n’est pas Histoire. De faux souvenirs peuvent se glisser en toute sincérité au milieu des récits.

    La voiture est-elle vraiment passée la dernière avant que le pont ne s’écroule ?

    Est-ce bien un soldat noir qui indiqua au grand-père ce petit chemin pour se réfugier ?

    Qu’importe, c’est ce que ma voisine a vécu et ressenti qui donne tout le sel à ce témoignage si touchant ; et indignation assurée de ma voisine, si on osait mettre en doute son souvenir !

     

    L'exode raconté par Rose

                                                                                                                                   le pont de Cosne, bombardé le 16 juin 1940

    ***

    Pour donner toute sa place à l’histoire, il convient d’aller plus loin.

    Christian Villetard très au fait de  la deuxième guerre et fort documenté sur l’aviation de cette époque, contribue à cette recherche et nous apporte ses connaissances  sur l’histoire de l’aviation ennemie.

     

    Contexte général :

    Dès le 12 juin Le Général Maxime Weigand , alors commandant en chef de l’armée française, estime qu’il n’y a plus d’espoir de repousser l’ennemi, les batailles de la Somme et de l’Aisne étant perdues. Il donne l’ordre à l’armée de se replier derrière la Loire où il essaye d’improviser une ligne de défense. Le même jour, en conseil des ministres réuni à Breteau, au château du Muguet, il incite le gouvernement à demander l’armistice. Il est soutenu par le Maréchal Pétain ministre d’état et vice-président du conseil. Le 16 Juin au soir, le président du conseil Paul Reynaud démissionne. Philippe Pétain prend la tête du gouvernement. Le lendemain, est diffusée à la radio cette grave décision « de cesser les combats » , qui aura de lourdes conséquences dans les jours suivants.

     

    Situation pour la région centre-est, autour de la Loire :

     Le 16 juin, des unités de l'armée française franchissent la Loire entre Cosne-cours-sur-Loire et Decize.

    Pour les empêcher de passer et pour terroriser les réfugiés, la Luftwaffe ( armée de l’air allemande ) depuis le 15 jusqu’au 18 juin, bombarde systématiquement les ponts de la Loire. Ceux de Sully sur Loire et de Cosne-Cours- sur Loire sont détruits le 16 juin, par une formation de bombardiers  Ju 87 Stuka.

    Toucy subit aussi un  bombardement très meurtrier,  le samedi 15 juin, jour de marché.

    Les 16 et 17 Juin les premières unités de l’armée allemande atteignent la Loire ( Orléans, Sully sur Loire, Gien, La Charité sur Loire, Cosne-Cours-sur-Loire …)

     

    La réplique de l’armée française contre cette attaque allemande sur Cosne-sur Loire:

    Une patrouille de 3 Dewoitine D520 du Groupe de Chasse II/3 basé alors à Avord ( près de Bourges ) abattront deux des avions ennemis impliqués dans ce raid.

    L’armée française avait également reçu l’ordre de détruire les ponts pour ralentir l’avancée des allemands, ce qui fut fait par le 4° régiment du génie dans de nombreux endroits.

    Mais hélas les opérations furent partielles car les explosifs manquèrent souvent.  Pour mémoire, Le capitaine Pierre Brossolette passa la Loire à Sully-sur-Loire avec sa compagnie en retraite le 17 juin sur le viaduc de chemin de fer qui ne put être détruit.

    Voici ce qu’écrit dans le Journal du Centre,  Pierre Peyret, le 25/7/2015 lors de la commémoration  des soldats français tombés sous les balles allemandes au viaduc de Port-Aubry le 17 juin 1940.(Il s’agit du viaduc qui relie Cosne-Cours-sur-Loire à Bannay dans le Cher.)

    « À la mémoire du capitaine Buc et du brigadier Rault, tombés au feu à la tête du détachement qui tenta, le 17 juin 1940, de soustraire aux forces d'invasion la maîtrise du pont de chemin de fer de Port-Aubry ». 

     

    Dès le 22 juin, après la signature de l’armistice (qui prend effet le 25 juin) les allemands réparèrent le pont pour pouvoir à nouveau franchir la Loire. Ironie de l’histoire, les forces d’occupation allemandes autoriseront les français de retour de l’exode à franchir le pont en sens inverse. Il sera à nouveau bombardé par les allemands en juillet 44, cette fois-ci, pour protéger leur retraite…

     

    Qui a vraiment bombardé le pont de Cosne- Cours-sur-Loire ?

    Des rumeurs, comme il en circulait beaucoup pendant l’exode, font état de bombardements d’avions italiens, entrés en guerre le 10 Juin.  En réalité, les combats aériens italiens se sont cantonnés au bombardement du sud est de la France (2)

    C’est la Regia Aeronautica qui affronte l'Armée de l'Air  française lors de la bataille des Alpes. Des vols de reconnaissance débutent sur le territoire français le 11 juin 1940.  Huit bombardiers Fiat BR.20 Cicogna et sept chasseurs Fiat CR.42 Falcon sont mis hors de combat, détruits ou endommagés par la chasse, la DCA ou les conditions météorologiques. Des bombardements sont effectués à partir du 13 juin sur les ports de Toulon et Marseille, les aérodromes de Fayence, d’Hyères, de Cuers-Pierrefeu, du Cannet-des-Maures et sur les forts de la frontière italo-française.

     

    (2) Les opérations aériennes italiennes sur la France en juin 1940. Extraits traduits par Lucien Morareau de l’ouvrage de Giancarlo Garello « Regia Aeronautica e Armée de l’Air 1940 – 1943 », Ufficio storico dell’Aeronautica militaire, 1975. Giorgio Rochat, « La campagne italienne de juin 1940 dans les Alpes occidentales », Revue historique des armées, 250, 2008.

     

    Quelques bombardements italiens sans dégâts importants sont également menés contre les villes corses de Calvi et de Bonifacio.

     

    Qui était ce brave soldat « noir » qui terrorisa tant la petite Rose ?

    Il appartenait forcément à une unité française en déroute et totalement désintégrée  

    Pour rendre hommage à sa mémoire et à celle des régiments de l’infanterie coloniale (RIC) , voici ce qu’on peut retenir de ces régiments de tirailleurs dits  « sénégalais » mais qui en réalité depuis les guerres de colonisation, désignaient les régiments africains. Terminologie destinée à les différencier des régiments d’Afrique du Nord.

    Pour ne retenir que leur participation à la campagne de France de 1939-1940 :

    En 1940, sur 5 millions de mobilisés, l'armée française compte 500 000 engagés (178 000 Africains et  Malgaches, 320 000 Maghrébins) soit huit Divisions d’Infanterie Coloniale (DIC). Les Sénégalais sont incorporés avec les fantassins des Régiments d’Infanterie Coloniale (RIC) et avec les artilleurs des Régiments d’Artillerie Coloniale (RAC). Les tirailleurs sénégalais participent tout au long de la guerre  aux combats en France, en Libye et en Tunisie puis en Italie, à nouveau en France et enfin, en Allemagne.

    Après l’anéantissement de leurs régiments au cours des combats de mai-juin 1940, les rescapés sont rattachés à d’autres unités :  26e RTS, ou de la 8e DIC.

    Notre soldat était-il un rescapé du 26e RTS, ou de la 8e DIC ? La terreur de la petite Rose fait foi et rend plus que vraisemblable  la présence d’un «artilleur sénégalais » ce jour là sur la rive gauche de la Loire,

     ***

    Mémoire n’est pas histoire disions-nous.

    Cependant parfois les deux se mêlent obscurément et même si l’historien reste vigilant, gardons nous dans ce récit d’émettre aucun doute. Nous fâcherions ma vieille amie  qui nous fait le beau cadeau de ses souvenirs. Alors, à quoi bon ?

     

                            Brigitte Demay de Goustine

     

     

     

     

                                       

     


    votre commentaire
  •  

     

    Guerre, exode, occupation…

    Chaque jour amène son lot de bien tristes nouvelles en provenance d’Ukraine ou d‘ailleurs.
    La France, nos villes et villages, ont connu aussi ces mêmes évènements au cours de la seconde guerre mondiale.
    En 1942, à Saint-Fargeau, l’occupation allemande était installée au château ou dans nos belles demeures bourgeoises. Ce fut le cas de la propriété de la famille Provot, rue Porte Marlotte. Jacques nous a proposé le texte ci-dessous qui raconte la guerre vue par des yeux d’enfants.

    En 2022, heureusement, l’amitié franco-allemande au sein de l’Europe nous garde de revivre de telles dramatiques situations sur notre sol.

     

    Vivre pendant la guerre avec les soldats allemands dans notre maison (1940-1942)

    Par Jacques Provot 

    Mes souvenirs sur la présence des soldats allemands dans notre maison pendant la guerre de 1940-1945, sont vraiment très éloignés. Pour nous les enfants ce qui importait le plus c’était la grande cour pavée, c’était le jardin, c’était les communs où nous avions l’habitude de jouer entre nous ou avec nos amis Blondet qui habitaient dans la même rue, juste en face.  

    Aussi voir notre domaine privé occupé par des soldats allemands nous était insupportable. Ils étaient dans la cour, dans le jardin, où ils allaient  et venaient même avec leurs voitures. Ils s’asseyaient sur le petit mur qui nous servait de siège, où nous discutions longuement. Ils jouaient avec la balançoire accrochée au portique, à côté des anneaux et de la corde à nœuds. Ils foulaient de leurs bottes, sans vergogne, notre domaine.  

    Aussi nous les regardions avec animosité et nous avons imaginé des actions de « combat » en quelque sorte. Elles n’étaient pas toutes anodines et certaines auraient pu avoir de vraies conséquences. Mais nous ne pouvions pas nous en rendre compte. 

    Le bombardement

    Ainsi lorsque nous avons « bombardé » un convoi militaire qui passait sous la terrasse de plein air de la famille Blondet, qui dominait l’avenue actuelle du Général Leclerc. Cette terrasse était bordée de marronniers et c’est cette particularité qui nous a donné l’idée de faire provision de marrons pour nous en servir de projectiles. Ce soir-là nous avons « arrosé » les camions pleins de soldats qui se présentaient sous nos yeux. Lorsque je lançais un marron j’avais un peu peur, mais je ne voulais pas qu’on le remarque. Nous étions très excités, on s’encourageait les uns les autres, on se prenait pour des soldats en train de défendre la France.  

    Je dois dire que j’ai beaucoup pensé à cette anecdote, 15 ans plus tard, lorsqu’en Grande Kabylie j’ai dû traverser en camion bâché, les gorges de « Palestro ». Je me disais à chaque passage « attention aux marrons » !

    Les cigarettes

    Chaque jour nous nous retrouvions avec nos copains. Il y avait surtout les enfants Blondet, parfois les enfants Droux, avec qui nous formions une bande bien décidée à provoquer les soldats allemands, puisque ces derniers passaient une bonne partie de leur temps dans nos espaces de jeux. Les plus grands eurent un jour l’idée de fabriquer des cigarettes pour faire comme les adultes. Il suffisait de remplacer le tabac, que nous n’avions pas, par des feuilles de tilleul séchées, écrasées avec les doigts et roulées avec du papier fin. Notre fabrique de cigarettes fonctionnait à l’abri des regards, au premier étage du hangar où notre grand-père rangeait le bois de chauffage.  

    Un jour l’un de nous eut une autre idée géniale : celle de prendre un paquet de cigarettes à l’officier allemand de service chez nous. Non pas pour les fumer entre nous, mais pour faire une bonne blague. L’idée était de les remplacer tout simplement par nos cigarettes de tilleul. On en riait d’avance. Mais qui pouvait faire cet « emprunt » sans se faire remarquer ? 

    L’officier s’était installé sans discussion dans le bureau du grand-père, qui donnait directement sur la rue Porte Marlotte. Loulou Blondet, 8/9 ans comme moi, mon meilleur copain, avait déjà vu l’officier fumer devant la table où il travaillait. En effet en venant chez nous Loulou passait souvent devant la fenêtre du bureau et il voyait fort bien à l’intérieur. Il avait remarqué que l’officier  posait volontiers son paquet de cigarettes sur le bord de sa table de travail.  

    Alors il fut décidé de nous confier la noble tâche patriotique de subtiliser le paquet de cigarettes et de le remettre en place avec les cigarettes artisanales. Alors nous avons fait le guet, pour attendre le bon moment. Il fallait en effet que l’officier soit absent et que le paquet de cigarette soit sur la table. 

     Or même si nous n’étions plus libres chez nous, nous pouvions passer par le couloir qui allait de la rue Porte Marlotte à la cour pavée de la maison. Sur les murs de ce couloir étaient accrochés des casques de de la guerre de 14-18, et quelques vieux fusils de collection, inoffensifs. Ces objets guerriers rassemblés par mon grand-père, ancien officier de réserve, me fascinaient. J’en rêvais. J’imaginais des combats victorieux. Et pour moi l’action en cours était un vrai combat.  

    Nous avons donc fait plusieurs fois des allers-retours dans le couloir, en feignant de contempler les vieux fusils. Et lorsque nous avons vu l’officier allemand quitter son fauteuil pour monter au premier étage où il avait sa chambre, nous avons aussitôt pénétré dans le bureau et par chance le paquet de cigarettes était sur la table. Alors nous l’avons emmené avec nous et donné aux artisans cigarettiers qui firent l’échange du contenu très rapidement, car les cigarettes au tilleul étaient prêtes pour l’expédition. Et bien entendu lorsque l’officier revint dans son bureau le paquet de cigarettes était à sa place initiale. Et j’étais avec Loulou dans la rue à côté de la fenêtre, en jetant un coup d’œil de temps en temps, pour voir. Et nous avons vu l’officier prendre son paquet pour en tirer une cigarette, la regarder avec étonnement et…fixer son regard sur nous, car au même moment nous retenions nos rires derrière la fenêtre. Mais en réalité nous n’étions pas à l’aise. De la main il fit un geste peu rassurant et il avança vers nous, l’air menaçant, ouvrit la fenêtre en faisant mine de nous sauter dessus. Alors poussés par la crainte d’une punition physique, nous effectuâmes une retraite stratégique en nous sauvant à toutes jambes par le couloir, la cour pavée, et le grand thuya, notre cachette habituelle. Et à ce moment-là mes frères et le groupe des fumeurs semèrent la confusion en courant dans tous les sens et en se camouflant à leur tour, car l’officier était derrière nous et il fit le tour du thuya, l’air menaçant.  

    Aussi comme notre dose de courage diminuait à vue d’œil nous reprîmes la fuite pour surgir brusquement dans la salle à manger où se trouvait ma mère. Celle-ci était en délicate découpe de tissu, penchée au- dessus de la table, avec une paire de ciseaux à la main. Elle n’était pas seule, car une dame assise sur une chaise, reprisait des chaussettes. Or il se trouve que la table était recouverte  d’un drap qui débordait sur les côtés jusqu’au sol. Alors sans explication nous avons plongé sous la table. Mais « qu’est-ce que vous faites » disait ma mère à notre intention alors que l’officier entrait à son tour, après avoir poliment frappé à la porte. Et c’est ce dernier qui raconta toute l’affaire, en bon français. « J’ai aussi des enfants, disait-il, je comprends que c’est difficile pour vous qui êtes veuve de bien élever les vôtres, mais vous devriez leur tirer les oreilles. »

    Les casques

    Chaque jour je voyais quelques soldats s’asseoir sur le petit mur qui domine la cour pavée. Ils parlaient entre eux et bien sûr je ne comprenais pas ce qu’ils disaient. Mais je détestais les voir là, tranquillement installés au soleil, à la place de mes copains et moi, car c’était notre place.  

    Un jour l’un d’eux arriva avec dans les mains un casque, que je reconnus aussitôt car c’était le fameux casque Adrian de la guerre d’avant, celle de 14-18, qui équipait les soldats français. Il provenait de la collection de mon grand-père qui avait exposé plusieurs casques, dont un casque allemand et le casque Adrian, côte à côte.  

    Le soldat allemand avait décroché le casque français, mais pour quoi faire ? J’étais à la fois inquiet et curieux de voir ce qui allait se passer. D’autant plus que pour moi ce casque était celui de mon oncle Albert tué le 6 octobre 1915, au cours de l’attaque de la butte de Tahure, non loin de Reims.  

    Et je vis se dérouler des gestes incroyables sous mes yeux incrédules : le soldat avait posé le casque sur le mur et de l’autre main qui tenait une grosse pierre il frappait de toutes ses forces sur le casque. Caché derrière la petite fenêtre du hangar j’étais comme cloué au sol, sidéré. Chaque coup donné était un coup que je ressentais moi-même. Enfin lorsqu’il arrêta de cogner, le soldat montra à ses collègues le casque français complètement cabossé, ce qui les fit beaucoup rire. Puis ils allèrent remettre le casque abîmé à sa place initiale au milieu des autres casques de l’exposition.  

    Notre vengeance ne se fit pas attendre. Le soir même l’un de nous décrocha le casque allemand, et dans le fond du jardin nous lui fîmes subir le même traitement brutal, à coup de pierres. Puis ce fut l’acte final : le retour du casque allemand complètement cabossé, à côté du casque français.    

     

    Je me souviens un peu de leur départ définitif de notre maison du 10 rue Porte-Marlotte, je sais que c’était en 1942, mais je ne connais pas la date exacte.  

    Ce jour-là  j’avais 10 ans et j’étais devant la cuisine de mes grands-parents, qui donnait sur la cour pavée. J’étais avec ma mère, mes 2 frères et ma petite sœur.  Mes grands-parents étaient devant la porte de leur salle  à manger. La cour pavée était pleine : il y avait des soldats qui chargeaient un camion sans bâches et d’autres véhicules plus petits. Ma mère disait : ils partent en Russie. Mais soudain elle s’est mise à crier : ils partent avec mes affaires!  Et elle répétait : Mais c’est à moi ! C’est à moi ! 

    Les soldats, assis dans le camion, la regardaient sans rien dire, 

    Voilà, c’est avec ce cri de colère  de ma mère que les soldats allemands sont partis de chez nous. 

     

    Jacques Provot (2020)

     

     

       

     

     

     

     


    votre commentaire
  •  

     

    Suite à la parution de notre Bulletin numéro 3 . Véronique a recueilli le témoignage de Cécile Janin épouse Chambaud qui a travaillé à la scierie Lesire et Provot dans les années 40:

     

    « Travailler à la scierie dans la tourmente de la guerre »

    « J’ai travaillé dans cette usine près de la Tour pendant la guerre. J’étais entrée comme ouvrière, dans les années 42-43, à seize, dix-sept ans. Je coupais du bois avec une scie électrique puissante à dix lames, ce bois était destiné aux gazogènes, c’était plutôt dur mais j’avais été embauchée sous le nom auquel je m’étais présentée sans donner mon identité réelle. M. Comte, le patron qui habitait la Tour, était très compréhensif vis-à-vis des jeunes venus de Paris, qui étaient dans la Résistance ou qui fuyaient le travail pour les Allemands.

    Je venais de Villeneuve St-Georges, j’avais besoin d’un travail pour survivre. Ma mère et moi, nous étions cachées avec mon frère Robert, aux Briards dans les bois de Sepfonds car mon père Henri Janin, communiste était recherché par la milice et la Gestapo.Il nous avait demandé de fuir dans l'Yonne. Mon frère avait dix-huit ans et fut bucheron.

    C’est là que j’ai rencontré mon mari, René Chambaud. Il avait vingt ans et travaillait là lui-aussi. Il faisait de la charbonnette, il était « chauffeur », chargé d’entretenir le feu dans les chaufferies situées dans un bâtiment au fond de l’usine. Il venait parfois plus tôt, le matin, pour avancer mon travail et m’épargner ces heures de coupe.

    Mr et Mme Chambaud, ses parents, avaient compris ma situation et m’apportaient à manger, ils m’ont bien aidée pendant toute cette période difficile car je ne pouvais parler à personne. 

    Une chance, il manqua quelqu’un au bureau et il se trouve que je connaissais le travail de bureau, la dactylographie ! René alla dire qu’il connaissait quelqu’un au patron et me recommanda auprès de lui. Je revois le petit bureau dans la Tour où j’ai été dactylo après-guerre à partir de 45. A ce moment-là, je pouvais enfin donner mon identité. Mlle Bonnard s’occupait des papiers, je faisais les payes des ouvriers. »

     

     

     


    1 commentaire
  •  

     

    Vos témoignages de MAI 68

     

     

    cliquez sur le petit carré pour ouvrir la fenêtre

      Annie Rivoal de Septfonds:

     Yves Rousselet de St Fargeau:

     Madeleine Maréchal de Mézilles

      

     

       
       

     

    Vous pouvez envoyer vos témoignages à l'adresse de l'association : histoirepatrimoine.stfargeau@orange.fr  ou bien les confier à l'un de nos membres.

     


    votre commentaire
  •  

     

    Notre association a souhaité recueillir la mémoire des gens d'ici qui ont vécu la période de MAI 68.

    Brigitte Demay de Goustine a proposé de faire un parallèle entre ce qui s'est passé à St Fargeau, à Paris, en France ou ailleurs en mai 68.

    Voilà le fruit de son travail qui vous a été présenté lors de la Foir'geaulaise 2018.

        Pour lire plus facilement vous pouvez cliquer sur l'icone fullscreen

     

     en cliquant sur les photos vous pouvez les agrandir :

        Mai 68   Mai 68

    Mai 68 photo 3

    Mai 68  photo 4

    Mai 68 photo 5

    Mai 68 photo 6

    Mai 68 photo 7

    Mai 68 photo 8

    Mai 68    Mai 68

     

    Vos commentaires et vos témoignages seront les bienvenus !

                                     

     

     

     

     

     


    votre commentaire
  •  

     

     

    Il y a cinquante ans, un demi-siècle déjà, survenait « le mouvement de mai 68 ».

    Vous l'avez vécu ...

    Nous souhaitons recueillir la mémoire des habitants de Saint-Fargeau.

    Chacun peut apporter son témoignage : sur les faits avérés (perturbations dans les services publics, fermeture des classes, difficultés d’approvisionnement, pénurie d’essence, résultats au référendum…) et sur les réactions des uns et des autres (réprobation, inquiétude, enthousiasme, perplexité…)

    Vous pouvez envoyer vos témoignages à l'adresse de l'association : histoirepatrimoine.stfargeau@orange.fr  ou bien les confier à l'un de nos membres.

    Sur le stand de l'association le 20 mai 2018 lors de la foir'geaulaise,Brigitte Demay a présenté son travail sur le sujet,elle a eu l'idée de faire un parallèle entre ce qui se passait à Paris et ce qui se passait à St Fargeau.

    Des images, des photos peuvent être jointes.

                                                             Nous les publierons  dans les semaines qui viennent.

    Cliquez ICI

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    votre commentaire
  •  

     

    Les Dames de la Rue des Lions

    Vers 1900

    Analyse d’une photo par Brigitte Demay de Goustine  ( novembre 2017) 

     

          L'association « Histoire et Patrimoine » à travers ses différentes expositions s'est attachée à faire revivre Saint Fargeau autrefois. Grâce à ses membres collectionneurs et à tous ceux qui ont d'une exposition à l'autre, contribué à enrichir ses archives, elle possède des trésors de photos et de cartes postales.  Parmi les centaines d'images que j'ai pu découvrir, moi qui ne suis pas d'ici, l'une d'elles m'a soudain fait rêver :

          Regardez ces trois photos comme elles sont belles et  émouvantes ; animées qu'elles sont par tous ces passants habillés comme pour un mariage ou toute autre cérémonie !

          Si on commence par observer la photo , en plan large, on peut compter dix personnages (En réalité il y en a onze ! Mais ce onzième là,  n'est pas encore visible...)

    Les Dames de la rue des Lions vers 1900

          Au premier plan, une dame toute de noir vêtue sous son ombrelle, fine et souple comme une liane tient un enfant endimanché, par la main. Est ce un petit garçon ? Pourquoi pas ? Au début du XX° siècle, les petits garçons portaient robes et longues boucles « anglaises ». Mais on peut opter quand même pour une petite fille à cause du chapeau à ruban.

          Juste devant cette élégante qui protège la pâleur de son teint, trois hommes  tournent le dos. Eux aussi sont bien habillés. Costumes noirs et  chapeaux de feutre, ronds. Ils viennent de franchir la rue Jacques Cœur.  Ne se dirigeraient-ils pas par hasard vers le café d'Alphonse Renault,  devenu aujourd'hui  le Café du Centre, ?

          Et maintenant « zoomons »

    Les Dames de la rue des Lions vers 1900

     

     Approchons-nous de ces dames qui s'apprêtent à traverser la rue des Lions.  Devant l'épicerie « Doin-Liron » (la pâtisserie Fléchais) et son jeune voisin Machavoine, photographe imprimeur, deux chiens et quatre  poules en liberté, vaquent indifférents aux humains qui circulent sous un soleil de plomb. Spectacle bien exotique à nos yeux d'aujourd'hui ! Les trois élégantes sont devant la devanture du coiffeur Voirin devenue depuis peu la friterie du « Ch'ti Gourmand » ex salon de coiffure, « un Temps pour Soi »

          « Zoomons » encore.

    Les Dames de la rue des Lions vers 1900

     Regardez ! Chapeaux monumentaux à rubans, robes et jupes noires avec bouillonnés et dentelles fines ; chatoiement des tenues claires ; peut-être faites de soie…

          C'est ici que le onzième acteur de la scène se dévoile ! Il est assis dans l'ombre, sur le pas de sa boutique, les coudes sur les genoux, à regarder la rue. Est-ce bien Maurice Voirin? Au recensement de 1911 il n'avait que 19 ans. Qui est-ce alors ? Et puis, à quoi correspondent tous ces objets qui s'empilent derrière la vitrine ? Impossible de deviner !

        Il reste enfin à décrire cette personne au fond de la scène. Vêtue tout en noir avec une coiffe sur la tête et non un chapeau. Elle ne semble pas être avec les autres dames. Mais elle aussi est fort bien habillée. Elle semble porter une crinoline (panier glissé sous la jupe) qui disparait avant 1900 me semble t-il. D'un pas déterminé, cette dame hors de mode, se dirige vers la boutique du marchand d'étoffes Jean Pandevant ; à moins que déjà  son gendre et sa fille Frottier-Pendevant, lui aient succédé ?  C'est la BNP aujourd'hui

     

          Pourquoi tant d’élégance ce jour-là, dans cette rue des Lions, par un jour d’été (soleil, ombrelles, tenues légères) ? En quelle année sommes-nous ?

          Hélas, on ne saura jamais quel événement a pu motiver le port de toutes ces toilettes. Mais il est clair que les habits de tous les jours ne ressemblent pas à ceux là. Il n'est pour s'en convaincre qu'à  regarder les innombrables et magnifiques photos prises sur le vif dans ces années là, par le très talentueux Machavoine déjà cité, photographe de Saint Fargeau. Il a tenu boutique entre 1901 et 1953

      Cette photo , nous donne un exemple des tenues de tous les jours:

    Les Dames de la rue des Lions vers 1900

     

          Du moins pour la datation, me suis-je amusée à consulter la mode entre 1890 et 1914 pour situer l'époque de cette scène.

          Les chapeaux sont clairement des années 1900-1910

          Les quatre femmes prêtes à traverser, portent des « tournures » à leurs jupes (sorte de tablier arrière froncé qui donne du gonflé). Celle de gauche soulève la sienne pour ne pas la salir dans le caniveau. Cette pièce de vêtement est aussi typique des années 1900-1910. En 1914, on est en  toujours robes longues, mais elles sont plus droites, taille effacée.

         

     Comme on aimerait pouvoir nommer tous ces gens ! Les reconnaître, comme vous qui habitez  Saint Fargeau de longue date, vous êtes reconnus en riant, bien plus tard, sur les photos de classe lors de l'exposition «Toute une histoire d'école » en 2015!

    Hélas qui pourra nous éclairer ? Un siècle a passé. Mais peut-être après tout, cet anonymat mystérieux contribue t-il d'autant plus à la  poésie de ces précieux témoignages d'un temps révolu...

     

     

     

     

     

     

     

     


    3 commentaires
  •  

     

    Un peu plus de deux années se sont écoulées depuis notre fameuse visite au caveau des Seigneurs et il faut l'avouer, nous nous interrogeons toujours autant sur ce que nous y avons découvert alors.

    Parmi la multitude d'inscriptions (noms, dates, signatures) si bien conservées et recouvrant entièrement les parois du caveau, une en particulier avait attiré notre attention :                       “Construction du calvaire, Reimann, 2 avril 1849“...

    voilà le résultat de mes recherches:

     

     

    Lire la suite...


    1 commentaire
  •  

     

     

    Le 12 JUIN 2016 : L’EXPOSITION A SEPTFONDS «  LES SIAMOISES EDMEE  et JEANNE …

     

    Environ 150 personnes ont fréquenté l’expo dimanche malgré un  temps défavorable  en début de matinée :  Septfonds retrouvait alors presque le déluge destructeur de récoltes et responsable de la famine de 1650/51 ! Heureusement, le temps s’est arrangé en fin de matinée attirant ainsi les promeneurs.

    Le sujet était difficile, avec la dureté du vécu de cette situation, avec ses implications familiales, sociologiques, juridiques, religieuses, médicales, astrologiques, théologiques… sans omettre les prémices de la presse (affiche et sa brochure).

    Le niveau d’intérêt pour le résultat de cette recherche a été très bon avec un dialogue permanent de qualité… toutes les plaquettes éditées ont été emportées…

    C’était un défi à divers niveaux… il semble que ce soit réussi.

    Grand merci à toutes les personnes internes ou externes à « Histoire et Patrimoine » qui ont apporté, de près ou de loin, leurs concours à la réalisation de cette étude et de sa présentation.

    Merci également à Lucien Mazé de nous avoir accueillis dans la salle de la Mairie. Malgré un temps  mitigé, l’ambiance a été chaleureuse pour cette fête 2016.

                                                                                  Michel Descamps

     

     Franc succès à Septfonds  Franc succès à Septfonds

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Franc succès à Septfonds      Franc succès à Septfonds


    votre commentaire
  •  

     

    Michel Descamps vous donne rendez-vous

    à la Mairie de Septfonds le 12 juin 2016

    pour la présentation des documents.

     

     Expo le 12 juin à Septfonds

     

     

     

     

     

     

     


    votre commentaire