• Une bien curieuse visite à l’église de St Fargeau

     

     

    Une bien curieuse visite à l’église de St Fargeau

    La curiosité n’est pas toujours un vilain défaut ; au contraire, elle trouve souvent toute sa raison d’être chez ceux qui comme moi, ne cessent de s’interroger sur les secrets du passé. Quel plaisir de chercher à dénouer des énigmes ou d’essayer de comprendre ce qui se cache derrière les murs de nos édifices ! Notre église par exemple, abriterait-elle une crypte comme beaucoup d’entre nous sembleraient le supposer ou s’agirait-il plutôt d’un caveau comme d’autres le prétendent ? Eh bien la meilleure manière de le savoir serait d’y organiser une petite visite.

     

    Après avoir reçu l’accord de notre maire, Jean Joumier et celui du Père Christophe Champenois, curé de Saint-Fargeau, nous décidons qu’un petit groupe de notre association, accompagné de H. Bourgoin (diacre) se retrouverait le mardi 16 Août, dans l’église Saint-Ferréol, plus précisément devant la Chapelle seigneuriale appelée aussi la Chapelle des Seigneurs, là où se trouverait la crypte.

    Cette chapelle se situe à droite du chœur de l’église, près de l’abside. Certains historiens   attribuent à Antoine de Chabannes (1411-1488) la construction de cette abside (pour l’embellissement de l’église). La chapelle seigneuriale, elle, pourrait être attribuée à Nicolas d’Anjou (1518-1572), arrière-petit-fils d’Antoine de Chabannes,  qui l’aurait agrandie ou reconstruite. Son architecture semble postérieure à celle de l’abside. Il faut rappeler qu’Antoine de Chabannes, comte de Dammartin  s’est montré un grand bâtisseur à la fin de sa vie. On lui doit, entre autres, la reconstruction du château à partir de 1467, la fondation du chapitre en 1478 et l’Hôpital fondé en 1481.

    A l’intérieur de la chapelle, sur un pilier tronqué, on remarque une plaque de marbre noir de 40 cm environ,  probablement du XVIIIe,  sur laquelle est gravée une épitaphe à son nom mais difficile à lire:

     

    « Cy-gît Antoine de Chabannes,

    Comte de Dammartin, seigneur

    de Saint-Fergeau et du païs de puïsaie,

    chevalier de l’ordre du roy,

    grand-maître de France

    sous Louis XI, mort le 25 décembre 1488 »

     

    Son corps, lui, repose à Dammartin mais son cœur et ses entrailles furent d’abord déposés dans une châsse  près de l’entrée de l’église puis la capse (terme du vieux français désignant une caisse de plomb) aurait été insérée dans les murs de la chapelle. Malheureusement, rien ne nous a permis de la découvrir.

    C’est dans cette chapelle que les seigneurs de Saint-Fargeau assistaient aux offices. Ils y accédaient par une porte donnant sur la ruelle longeant l’église et le presbytère. On peut d’ailleurs encore en  voir une trace sur le mur, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.

    Au XIXe siècle, de 1876 à 1881, de gros travaux de modernisation de l’église sont entrepris. Ceux-ci porteront par exemple sur le remplacement des vitraux de l’abside (22 panneaux  du XIIIe siècle se trouvent actuellement au Musée d’Art et d’Histoire de Genève) et la construction d’une voûte en brique dans la nef. C’est à cette époque d’ailleurs que le pilier tronqué aurait été refait et les murs de la chapelle seigneuriale recouverts d’un enduit caractéristique du XIXe, cachant ainsi les peintures murales que l’on distingue encore un peu sur l’un des murs. 

     

    Après nous être familiarisés avec notre environnement, nous voilà maintenant au-dessus de l’objet de notre visite : la « crypte ». Sur le sol, de lourdes dalles de pierre nous en indiquent la présence. Après avoir déplacé l’une de ces dalles (non sans difficulté), nous découvrons un escalier en briques, d’une douzaine de marches qui semble conduire sous la chapelle.  Qu’allons-nous découvrir ? L’émotion est à son comble !

    Un à un, armés de lampes électriques et d’appareils photos, nous nous glissons dans l’ouverture, descendons prudemment les marches et arrivons dans une petite salle voûtée ( Longueur : 3m55, Largeur : 3m48, hauteur : 2m15 ) dont les murs et le plafond sont entièrement recouverts de signatures et de dates. Sur le côté droit, un cercueil de métal ( 1,41m sur 0,50m) entouré de gravats, repose à même le sol. Aucune inscription. De qui s’agit-il ? Qui sont ceux qui ont laissé leur nom sur les murs et pourquoi?  Autant d’interrogations qui attisent notre curiosité. Mais maintenant une chose est sûre : il ne s’agit pas d’une crypte mais d’un caveau sépulcral.

    Nous prenons des photos et décidons de revenir, cette fois-ci accompagnés d’un spécialiste du Moyen-âge, Monsieur Stéphane Büttner.

    Chose dite, chose faite. Le 18 septembre, nous redescendons dans le caveau.  M. Büttner nous confirme qu’il s’agit bien d’un caveau et non d’une crypte et qu’il daterait certainement du XVe siècle comme ses murs de briques recouvertes d’un enduit parfaitement conservé l’attesteraient. Mais on en ignore l’architecte.

    Les écritures, elles aussi très bien conservées seraient faites pour la plupart au fusain, d’autres à l’ocre mais fragiles puisqu’elles s’effacent facilement si l’on y passe le doigt. Il est étonnant qu’elles aient été si bien conservées.

    Quant au cercueil de métal, le mystère persiste. Nous constatons par contre, que parmi toutes les signatures, beaucoup sont datées de 1740 et un nom inscrit sur toute la longueur de l’arête de la voûte attire notre attention: « Lemaigre de Saint-Maurice, Anno Domini JC 1740 ». Or, nous savons par des actes que Michel Robert Lepeltier des Forts a été inhumé dans l’église de Saint-Fargeau, en la chapelle des Seigneurs, le 16 juillet 1740 et parmi les noms cités dans ces actes, on retrouve celui de Me Lemaigre de Saint-Maurice, avocat.  Nous savons aussi que le curé doyen de l’époque était Defiguères et le bedeau Etienne Carré dont on retrouve d’ailleurs, le nom un peu partout sur les murs. Pourrait-on en déduire que ce serait Lepeltier des Forts qui reposerait dans ce caveau ?

    Parmi les autres écritures, certaines sont plus anciennes (1653, 1687) mais sans noms déchiffrables, d’autres plus récentes et plus nettes comme « Joseph Gautier horloger 1814 », « Construction du calvaire 1849 », « Jean Lavaud 1945 », « Gogin 1945 », etc. Pour ces deux derniers noms, pourrait-il s’agir de deux résistants et que ce caveau aurait servi de cache pendant la guerre ? Y aurait-il un lien avec  le doyen Voury  dénoncé et déporté ?

    Mais pourquoi toutes ces signatures ? Que faisaient toutes ces personnes dans ce caveau ? Y aurait-il eu d’autres personnes inhumées ici ? Qui étaient-elles et que sont devenues leurs sépultures ?   Autant de questions qui nous poussent à aller plus loin dans nos recherches. Qui sait ? Un jour peut-être, aurons-nous la réponse à nos questions !

     

    Mais pour terminer, il n’y aurait pas de meilleure conclusion que celle de Suzanne et René Pélissier dans leur travail si bien documenté sur les vitraux de l’église : «  Nous déplorons de ne plus pouvoir admirer en Puisaye ces vitraux dont Victor Petit soulignait ‘toute la richesse de ton et toute l’énergie décorative’. Mais cela nous permet d’alerter tous ceux qui entreprennent des restaurations de notre patrimoine public ou privé. Nous leur disons : ne vous pressez jamais ; réfléchissez ; sachez comprendre si vous cédez à la mode d’un moment ; demandez l’avis de ceux qui ont la charge de préserver ce patrimoine – Nous voyons encore, hélas, de nos jours, trop d’imprudents qui ne respectent pas ces simples principes -  Vous éviterez à vous même ou à vos descendants bien des regrets. »

     

     

    Françoise van Zon-Bourgeois

     

     

    Sources consultées :

    « Histoire de la ville et du Comté de Saint-Fargeau », M. Déy, 1856

    « Recherches historiques sur la Puisaye et leurs seigneurs de la maison de Bar », Dr P. De Smyttère, 1869.

    « L’ancienne vitrerie du XIIIe siècle de l’église de Saint-Fargeau », Suzanne et René Pélissier, 1980  (Article paru dans le Tome 112 du BSSY).

    « En Puisaye, Saint-Fargeau, Mademoiselle et son château », Marguerite Bourgoin, 1954.

    « Acte d’inhumation de Lepeltier des Forts, 16 juillet 1740 », Etat civil St-Fargeau, BMS 1738, p.60 (archivesenligne.yonne-archives.fr)

     

    Visite du caveau de l' église  Visite du caveau de l' église  Visite du caveau de l' église

     

    Visite du caveau de l' église

     

    Visite du caveau de l' église  Visite du caveau de l' église  Visite du caveau de l' église

     


    Tags Tags :
  • Commentaires

    1
    Poupie Lelorrain
    Lundi 24 Octobre 2016 à 17:26

    merci pour cette description de la découverte; cette surabondance des inscriptions est vraiment étonnante.ce "sous terrain" ,car pas une crypte pensez vous ,,devait être ouvert autrefois sans la dalle de couverture

    Jean Lavaud ,une parenté avec Maurice Lavaud,,son père?

    ,merci de nous faire partager vos émotions;.Poupie Lelorrain

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    Christian Villetard
    Mardi 25 Octobre 2016 à 18:06

    Très bon travail intéressant et Françoise a bien très bien résumé cette visite à laquelle j'aurai bien voulu participer également.

    Merci de cet article et peut être aurons nous des informations d'autres fargeaulais.

    3
    Thomas Annie
    Dimanche 30 Octobre 2016 à 10:42

    Magnifique commentaire très bien détaillé de cette visite.

    En te lisant, on a l'impression d'être sur les lieux.

    Merci Françoise. Annie

    4
    Jocelyne
    Vendredi 18 Novembre 2016 à 16:01

    Merci pour le résumé et les quelques photos qui aident à visualiser la salle que vous avez découverte.

    Depuis fort longtemps j'avais envie de connaitre "ce caveau " et j'aurais bien voulu participer à cette découverte

    Merci pour tout ce que vous nous faites partager.

    Jocelyne

    5
    Gélis Jacques
    Samedi 29 Février 2020 à 23:13

    Bonjour, 

    Je suis tombé un peu par hasard sur votre site et ce commentaire datant de 2016. Je souhaiterais d'autant plus entrer en contact avec vous que je suis historien et que je travaille sur les caveaux de chapelles seigneuriales. Il s'agit en effet d'un caveau sépulcral et certains des noms figurant sur les murs sont certainement ceux laissés par des personnes qui ont contribué au service funéraire '(descente des corps dans le caveau). Les plus récents étant dessilles "visiteurs"...Mais peut-être avez-vous fait depuis 4 ans des recherches complémentaires qui vous en ont appris sur l'historie du caveau et surtout des personnes dont les corps ont été ensevelis là ?

    La question que je me pose (mais il faudrait voir le site plus en détail) est : est-ce que ce caveau n'a pas servi avant le milieu 18e siècle de "pourrissoir" de cadavres, car je connais d'autres exemples de ce type. Dans le courant 18e s. Il a pu être transformé en dépôt de cercueils. C'est l'évolution ordinaire. Le caveau a-t-il été violé à la Révolution , Les révolutionnaires voulant y récupérer le plomb des cercueils ? Les registres paroissiaux permettraient peut-être d'ne savoir plus sur les personnes dont le corps a été descendu dans le caveau. 

    Je vous remercie à l'avance de votre réponse. 

    Bien cordialement

      • Nadège VALLET
        Mercredi 4 Mars 2020 à 17:36

        Objet : Eglise de St Fargeau - caveau

        Cher Monsieur,

        Je découvre le commentaire que vous avez laissé sur notre blog. Il serait certainement utile que notre association puisse vous accueillir et vous faire  visiter ce lieu.

        Vos pouvez nous laisser par mail vos coordonnées. Vous pouvez nous joindre  à l'adresse indiquée ci-dessus e notre associaiton "Histoire et Patrimoine de S Fargeau" Yonne, association dont je suis la Présidente.

        Je reste à votre disposition

        Nadège Vallet 06.89.38.39.22

         

    6
    Gélis Jacques
    Jeudi 5 Mars 2020 à 14:44

    Madame la Présidente, 

    Je vous remercie de votre réponse si prompte. 

    Je suis moi-même président honoraire de l'association Etampes-Histoire qui depuis plus de 30 ans fait des recherches sur la région d'Etampes (91). Nous avons publié plusieurs ouvrages concernant l'histoire et le patrimoine de la région. 

    Je suis par ailleurs professeur émérite de l'université de Paris 8, et je travaille, outre les sujets d'histoire locale, sur l'évolution du sentiment de la mort et les répercussions sur les comportements religieux. Ce qui m'a amené aux pourrissions de cadavres des chapelles seigneuriales. Je suis en contact sur ce point avec des archéologues de la région Centre intéressés par le thème de recherche. 

    Votre proposition de m'accueillir à Saint-Fargeau pour une visite des lieux m'agrée bien, car je suis curieux de voir par moi-même ce caveau funéraire.

    Vous avez mon adresse courriel. Je vous donne mon n° de téléphone : 06 88 31 02 09. Puisque vous m'avez aimablement communiqué le votre, je vous appellerai rapidement.

    En vous remerciant de votre collaboration. 
    Bien cordialement.

    Jacques Gélis

      • Histoire Patrimoine
        Lundi 27 Juillet 2020 à 10:33

        Monsieur Gélis, pourriez-vous me communiquer votre adresse mail afin que je vous transmette des documents concernant le caveau de l'église de St Fargeau. Je vous remercie, Nadège Vallet

    7
    Lundi 17 Avril 2023 à 18:12
    1
    Vallet Henri
    Lundi 24 Octobre 2016 à 10:01   Supprimer le commentaire
     

    Compliments pour ce dernier article concernant la découverte du caveau de l'Eglise, particulièrement à Françoise et Chantal 

    Merci à Yves et Claude pour l'organisation de cette visite Bravo encore pour cette Association.

     

    Henri Vallet

     



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :